Nortec en Telerama
Esta semana aparece un artículo de Nortec en la revista francesa Telerama, la cual tiene un tiraje de 600 000 ejemplares.
Aquí les dejo un par de fotos de las que aparecen en dicho reportaje escrito por Laurent Rigoulet con imágenes de Jerome Perlinghi.
Ce tempo sauvera ta peau
Les quartiers chauds de Tijuana, ville frontière mexicaine, aux portes des Etats-Unis, vibrent depuis toujours au son du norteño. Remixée techno par le collectif Nortec, cette musique devient la bande-son d’un avenir possible.
Une fois par an, sur sa piste d’Agua Caliente, il organise une petite sauterie où les lévriers sont montés par des singes habillés en jockeys. Les singes font partie de sa collection particulière, comme les centaines de chiens, de chevaux et les animaux exotiques du zoo privé qui jouxte le champ de courses et les arènes de son immense domaine. On l’a arrêté, un jour, à la frontière américaine avec un tigre du Bengale caché sur sa banquette arrière. Le trafic d’animaux lui rapporterait plus de 20 millions de dollars par an, les paris sur les courses serviraient au blanchiment d’argent. On le dit lié à des assassinats, dont celui d’un journaliste qui s’est penché de trop près sur son cas. Jorge Hank Rhon est surnommé Gengis Hank, et son épouse, Hankita Perón. Quand nous rendons visite aux cinq garçons de Nortec Collective, musiciens vedettes de la scène électro de Tijuana, il est encore maire de la ville (« presidente municipal », selon la terminologie locale). Pas pour longtemps. Il vise le poste de gouverneur et ne tient pas à cumuler les mandats.
Tijuana, ville frontière mexicaine aux portes de la Californie, a longtemps fait fantasmer les Américains, qui la paraient de tous les mythes et folklores du « sous-continent » et aimaient s’y encanailler le samedi soir. Elle fait peur aujourd’hui. Les cartels font la loi depuis la fin des années 80. L’Amérique s’est murée pour de bon après le 11 Septembre et l’embouteillage permanent du poste-frontière remonte jusqu’au centre de Tijuana. Quand on se promène avec les musiciens de Nortec sur l’avenue de la Révolution, on croise peu de gringos en goguette. Après minuit, tout se met à vibrer. Un vent doux fait voyager les basses énormes et l’euphorie des discothèques à ciel ouvert. Une foule éméchée se presse sur les trottoirs. Des beautés satinées passent aux bras de jeunes seigneurs ultra-sapés. Des types vous accostent pour proposer Dieu sait quoi, des filles, de la drogue, impossible à comprendre, leur tchatche est trop vive. La police, au carrefour, se contente d’assurer un semblant de circulation. Les agents n’ont plus que l’uniforme, le gouvernement fédéral vient de leur retirer leurs armes : ils étaient trop souvent impliqués dans les fusillades entre cartels.
« Partout les gens me demandent : qu’est-ce que c’est que cette ville ?, dit Roberto Mendoza, de Nortec. Elle n’est pas très belle. Mais c’est un endroit merveilleux, plein d’une énergie bizarre, de bruits, de vies, de visions, d’histoires étranges, violentes ou sentimentales, qui ne peuvent que nous inspirer… » L’après-midi, en venant au rendez-vous, il a eu l’idée d’une chanson en passant devant une église dont les jardins ont été transformés en cimetière de voitures. Et il vient de signer avec ses quatre complices un tube radieux (« Tijuana me rend heureux ») qui mériterait de passer en boucle sur toutes les radios de la planète. En leur compagnie, on a le sentiment qu’on ne passera jamais assez de temps ici, chez eux. De Tijuana, ils voudraient tout montrer : les peintures murales géantes, les immenses croix dessinées en mémoire des clandestins disparus, les avenues de terre battue, les rutilantes voitures de sport blindées. Mais aussi les bars du centre fréquentés par une chaleureuse foule interlope, le dancing sans âge où les romances rythmées du DJ Travolta, catcheur à ses heures, font dériver les couples ivres et fatigués comme une vague d’amour, compacte et torride. Ou encore la cantina, l’endroit où se tiennent leurs meetings alcoolisés, en surplomb de quelques piquets plantés dans l’océan marquant la frontière avec les Etats-Unis.
Et puis, bien sûr, il y a le fronton de pelote basque où tout a commencé. Par cette nuit d’hiver, on distingue à peine l’immense Jai Alai Palace de l’avenue de la Révolution, vaste bâtiment clinquant plongé dans la pénombre. A la fin des années 90, les garçons de Nortec ont donné là une fête qui a transfiguré l’image de leur ville et de la musique électronique. Quelques centaines de dollars de pot-de-vin leur ont assuré paix et tranquillité jusqu’au bout de la nuit. Les artistes de Tijuana n’attendent rien d’autre des autorités. Devant le fronton se croisaient, pêle-mêle, des ânes maquillés en zèbre, des peintres, des cracheurs de feu et des milliers de danseurs vibrant au son de Nortec, mélange de techno et de musique populaire du nord du Mexique. Un bus sonorisé embarquait des fêtards et sillonnait les quartiers. Une caméra à l’avant prenait le décor de la ville dans le halo des phares, et les images projetées sur le fronton plongeaient les danseurs dans une hypnose mémorable. Les semaines suivantes, on ne parlait plus que de Nortec Collective. Ce n’était plus le nom d’un groupe, mais celui d’un mouvement.
Pour les cinq musiciens qui unissent leurs forces sous la bannière du Collective, l’histoire est à peu près la même et commence, au tout début des années 80, sous les antennes géantes des radios de San Diego, aux Etats-Unis. Tijuana n’est encore qu’une ville moyenne perdue entre deux mondes. La centralisation de la politique mexicaine la tient dans la marge, à des années-lumière de Mexico, et l’agitation du pays ne l’atteint guère. Il ne reste qu’à se tourner vers l’Amérique. Pour contourner la législation, les radios californiennes sont venues installer, côté mexicain, des émetteurs surpuissants. Les adolescents de Nortec sont aux premières loges. La nuit, ils écoutent 91 X, une station FM qui diffuse les nouveautés de la new wave électronique européenne ou les volutes planantes de Tangerine Dream ou de Jean-Michel Jarre, qui s’accordent à merveille aux vastes cieux étoilés de Baja California. Ils fréquentent aussi un club américain, l’Iguana, implanté de leur côté de la frontière pour pouvoir vendre de l’alcool aux très jeunes Américains. Ils découvrent ainsi The Cure, Public Image, les têtes d’affiche rock et new wave, plusieurs années avant le reste de l’Amérique du Sud. Dans le club, il y a peu de Mexicains : ils ont tôt fait de se reconnaître.
Les années d’apprentissage se font au sein de groupes de rock électronique qui copient les modèles du « vieux monde ». Jusqu’au jour où Nortec découvre sa recette et intègre dans ses compositions le norteño, la musique de Tijuana, celle qu’on entend partout et tout le temps, dans la rue, dans les cantinas, dans les taxis… « On l’a rejetée pendant des années, dit Pepe Mogt, affable dandy de la bande. Le norteño nous insupportait, on trouvait ça ringard et sentimental. Mais, peu à peu, nous nous sommes laissés prendre par son incroyable richesse musicale. » Au milieu des années 90, Pepe se rend dans un studio de la frontière pour rencontrer des musiciens d’un autre âge qui le regardent comme un Martien. Pour 100 dollars, il enregistre le son d’un accordéon ou d’une caisse claire et les fait passer par les circuits de ses ordinateurs. Le mélange obtenu est superbe. La jeunesse locale en rit d’abord avant de se laisser entraîner dans le tourbillon des soirées. « Ce son est devenu l’apanage de Tijuana, dit Pepe. Notre ville n’avait pas de culture propre, rien à quoi s’identifier. Elle est peuplée d’immigrants, régie par les barons de la drogue, et personne n’en était particulièrement fier. Petit à petit, nous avons réalisé que nous pouvions en inventer la bande-son. » C’est parfois sulfureux. Le norteño est la musique d’élection des parrains mafieux. Ses chansons, les corridos, narrent leurs prouesses ou signent parfois une condamnation à mort. Une de ses stars, Valentín Elizalde, a été assassinée récemment à la sortie d’un concert : son tube posthume (« A mes ennemis ») circulait sur YouTube, accompagné d’images de meurtres particulièrement gore.
L’électrique Tijuana s’étend sans cesse, dans le plus grand désordre. Quand les parents de Pepe Mogt s’y sont installés, dans les années 70, elle comptait à peine 500 000 habitants. Ils sont 2 millions aujourd’hui, aimantés par l’espoir d’un passage aux Etats-Unis ou par les entreprises délocalisées en bordure de frontière. Le musicien vit près des plages, à quelques centaines de mètres des Etats-Unis. Le quartier, qui a poussé de manière anarchique, n’était encore qu’un vaste désert il y a peu de temps. Il faut emprunter des pistes de terre défoncées pour rejoindre la villa où il a installé son studio. En chemin, on longe les alignements de baraquements qui s’étendent, au sud, sur des dizaines de kilomètres. On passe devant son lycée et il en évoque les fantômes : un tiers de sa classe d’âge a disparu, décimée par les fusillades entre dealers. Sous ses airs de joyeuse fanfare électronique, la musique de Nortec met en scène la complexité de la cité. Les sonorités en sont soigneusement étudiées, discutées, découpées, épousant les mouvements brusques et les tensions de Tijuana, cherchant toujours le juste équilibre entre le bouillonnement émotionnel et nostalgique des musiques populaires et le tranchant d’une jeunesse branchée sur les sonorités les plus modernes.
Quitter Tijuana ? La musique de Nortec voyage aux quatre coins de la planète mais ses auteurs n’imagineraient pas vivre et composer ailleurs. D’autant qu’ils sont loin d’être seuls à présent. De jeunes architectes, vidéastes et plasticiens inventent, comme eux, une culture du « sampling », qui se nourrit de l’incroyable foisonnement des images d’une ville poussant aux portes des Etats-Unis. Un critique américain y voit « l’émergence d’une culture du quatrième monde » : dynamisme de la dèche et pouvoir de la technologie. L’énergie de la liberté aussi. Comme dans cette histoire, pêchée après quelques tequilas : un chien des beaux quartiers de San Diego passe la frontière toutes les nuits pour se mêler aux hordes de chiens errants. Ceux-ci le bombardent de questions sur le luxe de son existence et lui demandent pourquoi il vient traîner à Tijuana. Et il répond : « Pour aboyer ! » .